Modus operandi, Marin Ledun
Présentation de l'éditeur
Cette ville pue la mort, marmonne l’inspecteur Éric Darrieux, adossé à la portière de sa vieille Peugeot. Tu m’entends, Grenoble ?
La mort par tous tes trous ! Plus de quarante ans que je roule pour toi. Quarante ans que j’use mes semelles dans tes rues et tes escaliers en or gris. Et que m’as-tu donné en échange ?
M.L.
Marginal opiniâtre et alcoolique invétéré, Éric Darrieux enquête sur des disparitions d’enfants à Grenoble. Témoins fuyants, preuves confuses… À travers les brouillards de l’alcool, il poursuit un passé tourmenté dans les méandres de la mémoire urbaine.
Mon avis
Vient le tour de Modus operandi de Marin Ledun. Comment venir après le feu d’artifice qu’a été le premier roman ? Réponse : en changeant totalement d’atmosphère et de mécanisme d’intrigue. Alors que le premier se passait aux Etats-Unis avec une foule de personnages, celui-ci se déroule en France, à Grenoble avec le parcours halluciné d’un seul personnage, figure emblématique du livre.
Eric Darrieux est chargé officieusement d’une enquête concernant des disparitions d’enfants. Après avoir envisagé la fugue, la police craint que ce ne soient des enlèvements perpétrés par un homme. Darrieux sillonne la ville de son enfance à la recherche de témoignages et de suspects. Alcoolique notoire, souffrant du dos, il a été muté à Grenoble, loin de sa femme et ses 2 enfants, et ne travaille qu’en solo. Darrieux incarne l’antihéros parfait dont l’aspect n’est pas vraiment reluisant mais qui conserve son intégrité dans son travail et tient à tout prix à retrouver les jeunes disparus.
L’évolution de l’intrigue est lente, torturée, entrecoupée de passages avec la narration d’une victime, puis d’un tortionnaire, ce qui rend le texte glaçant et effrayant. Certaines allusions, qui deviennent de plus en plus explicites d’ailleurs, rendent d’ailleurs cette histoire encore plus choquante qu’un thriller avec un tueur en série comme il y en a pléthore sur les rayons. Car le véritable sujet de ce roman, tapi dans l’ombre, que le lecteur comprend au premier coup d’œil et qui rend mal à l’aise, est celui de la pédophilie. L’immersion dans la tête d’un enfant puis de son bourreau, même durant de brefs passages, de plus en plus violents, choquera la sensibilité de certains et rendra mal à l’aise les autres. Impossible de ne pas réagir face à cela, mais impossible non plus de ne pas connaitre le dénouement de l’histoire.
Alors que l’on s’acheminerait vers la conclusion de l’enquête, avec un Darrieux à bout de nerfs et de plus en plus incontrôlable, le rebondissement final est tout à fait stupéfiant, et totalement imprévisible, même aux lecteurs les plus chevronnés en matière de romans policiers. Les explications surviennent tardivement et de manière un peu trop rapides mais la stupeur est tellement forte qu’on ne peut pas s’empêcher de repasser le fil de l’intrigue dans sa tête pour comprendre certains passages. Ce procédé d’écriture a été utilisé à de maintes reprises, mais lorsqu’il fonctionne, la réussite est toujours plus éclatante et le roman en sort grandi. Pourtant, même si cet épilogue est éblouissant, le récit reste néanmoins brouillon avec une évolution erratique de l’histoire, à l’image de Darrieux et ses allées et venues entre le bar le plus proche et les visites chez des témoins. Le défaut est de jeunesse, normal puisqu’il s’agit du premier roman de cet auteur dont on n’a pas fini de parler. Avec un peu plus de bouteille (mauvais jeu de mots désolée) et de pratique, Marin Ledun est un auteur qu’il faudra suivre.